le violon est un instrument ingrat

Le violon est un instrument ingrat. Combien de fois n’a-t’on pas entendu cette expression ? L’adolescence, quel âge ingrat ! En voilà une autre.

Qu’entend-on par-là ? Que le violon est affublé d’un physique difficile à porter mais qui devrait s’arranger avec le temps ? Que la voix de l’adolescent ornée de ses trémolos incontrôlés émets des stridulations aussi désagréables que le violon en est capable aux mains d’un débutant ? Quelle reconnaissance peut-on espérer d’un violon d’aussi bonne facture qu’il soit ?

Comment, alors, ne pas plaindre le sort d’un adolescent qui aurait choisi le violon comme instrument de son émancipation ? Faut-il l’en dissuader ? Faut-il lui brosser un portrait de ce qui les attend (lui et son instrument) à grand coup d’acné et de crissements insupportables ? Et pourtant dans quelques cas, une grâce imprévisible fera naître quelques beaux virtuoses de la citrouille pleine d’ingratitude.

Ingrat ! Ce terme semble contenir en lui-même toute la déception qu’il pose là, comme si la difficulté engendrait l’espoir d’une légitime récompense.

 

Tu n’as donc aucune reconnaissance ? Toi que j’ai couvé du regard, toi qui m’a tant coûté, à qui j’ai consacré tant de temps, que mes doigts ont caressé, que mes yeux ont admiré, que mes oreilles ont espéré grandes ouvertes jusqu’au cœur, pour que tu me gratifie de ce miaulement de chat coincé dans une porte. Toi ! L’instrument du maestro, talentueux au point de faire vibrer l’air comme la respiration de la plus douce des jeunes filles aimée, toi, doué jusqu’à pouvoir tirer les larmes de l’œil le plus sec ! Tel l’immonde cafard capable de se transformer en prince élégant, tu peux redevenir cafard à tout moment, à la moindre inattention, déchirant l’air, vrillant nos tympans de ce cri chargé d’une agressivité débordante. Ah, décidément, le violon quel instrument ingrat.

L’ado, cet homme en devenir, cet être en plein développement, dans sa quête d’autonomie se heurtant au mur parental, catalyse de la société, peut à tout moment se muer en redoutable crécelle grinçante. Il mue, mute, bourgeonnant soudain, non pas comme l’embryon d’un fruit se gonflant de sève prometteuse, mais à l’instar d’un petit Vésuve où la rancœur accumulée peut d’un moment à l’autre, exploser et déverser un courant de fiel et de pus à la face du monde.

Ingrat ?

Mais qui est-on pour juger de la gratitude que l’on peut attendre ? Ne fait-on les choses qu’en attente d’un retour bonifié de nos pieuses intentions ? Il ne faut attendre de gratitude de personne et n’en espérer pas davantage. Ni du violon ni de l’adolescent ne préjugeons ce que l’on est en droit d’attendre. L’instrument aux courbes délicates, sculptées du divin savoir du luthier et l’enfant au sourire prometteur, deviendront hurleurs ou cajoleurs, généreux ou pingres, enchanteurs ou odieux, charismatique ou insupportables.

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