Jessica Rabosse

Rabosse Jessica, Sorcière Diplômée Trois Chaudrons SNCF
(Sorcellerie Nouvelle et Crapauds Fermentés)

 

Après avoir obtenu le troisième chaudron à son examen de la SNCF, Sorcellerie Nouvelle et Crapauds Fermentés, Rabosse avait été reçue avec succès au grade de Sorcière N.R.V . Certains de ses amis déclaraient que le titre de Sorcière « énervée » lui convenait très bien. Elle avait effectivement l’habitude de manifester son mécontentement de façon pour le moins spectaculaire: Si elle faisait rimer les mots qui exprimaient sa colère, il valait mieux ne pas rester dans les parages  surtout si l’on était la cause de cette irritation. Elle avait le courroux dévastateur.


« C’est plus fort que moi, je
m’emporte,
j’ai beau y faire, c’est comme ça,
je n’y peux rien il faut que ça sorte,
Un seul conseil: ne m’embêtez pas »,

Voilà ce qu’elle déclarait quand elle était calme et détendue. Mais un rien l’agaçait. Dans le cas où vous provoquiez son déchaînement, si les alentours résonnaient de ses cris, vous n’entendiez plus rien du tout! Changé en cafard, en poutre ou en fromage au lait cru et donc privé d’oreilles, il est toujours difficile d’écouter.

« Je vocifère,
il faut s’y faire.»

concluait-elle en haussant les épaules et  repartant se calmer ailleurs.

Ses amis s’amusaient donc de ce titre de Sorcière NRV. Ils inventèrent toutes sortes de solutions pour ce sigle: Normalement Remarquée en Ville, ou Nounou Responsable des Vipères pouvaient assez bien s’appliquer à Jessica Rabosse. Nunuche Racontant ses Vacances ne lui correspondait pas du tout, et Nounours et Ruches Vides ne faisait rire que les plus gourmands. Celui qui avait trouvé Nauséabonde Reine des Vilaines ne s’en vantât pas, certainement par de peur des représailles. Nénuphars et Requins Volants fut de loin le plus ridicule et désigné comme le plus mauvais sigle du siècle, ce qui est exagéré vous en conviendrez.

En fait la réelle signification de Sorcière N.R.V., était Nouvelle Responsable Volontaire. Contrairement aux fées, il n’existaient pas d’école ou d’établissement spécialisé dans l’apprentissage de la sorcellerie. En effet  l’E.D.F *, l’école des Fées dispensait un enseignement général et donnait une formation digne de ce nom, mais à part l’IUFM l’Institut Urbain de Formation à la Magie situé en banlieue, qui se contentait de donner des cours de maniement de vol sur balai, nul établissement ne permettait d’enseigner leur matière. Il fallait donc bien que quelques sorcières et sorciers confirmés se penchent de temps en temps sur les candidats à la SNCF pour juger de leur niveau d’apprentissage. Même doués, il fallait un minimum de rigueur; s’ils étaient maladroits ou désordonnés, ils n’avaient alors que peu de chance d’obtenir leurs chaudrons, insigne récompensant leur savoir-faire. Par exemple un des candidats venu de l’IUFM, justement, voulu prouver sa maîtrise parfaite du vol sur balai. Après un tour rapide dans la salle il sortit dans un grand fracas de verre et de bois par l’une des fenêtres qu’il avait oublié d’ouvrir préalablement. Ce n’est qu’après un grand bruit sourd contre la lourde porte de bois de l’autre coté de la pièce, que le jury comprit qu’il avait également oublié d’ouvrir la porte par laquelle il souhaitait  rentrer. Maladresse passagère, fébrilité due à l’examen ou mauvaise maîtrise? Il ne le surent jamais puisqu’ils ne le revirent plus.

Une autre fois une jeune fille voulut donner un compagnon à son poisson rouge. Elle posa sur la table devant les examinateurs, un bocal dans lequel évoluait élégamment un poisson doré aux nageoires déployées, ondulant gracieusement. Elle se concentra et après un léger bruit assez harmonieux, le jury s’aperçut qu’au lieu de répliquer le poisson, elle avait doublé le volume d’eau. Voulant corriger son erreur immédiatement elle répéta son incantation et se trompa de nouveau. Dans la panique, la troisième tentative fut pire encore et le bruit assez proche d’une chute d’eau. Un des membres du jury tenta bien de calmer la candidate affolée, mais sans parvenir à la convaincre puisque le niveau monta une fois de plus. Heureusement que  Rabosse, les yeux au ciel, transforma le bureau des examinateurs en barque à fond plat avant la cinquième tentative, car elle fit apparaître en même temps qu’une baleine à bosse, beaucoup d’inquiétude parmi les candidats qui attendaient dans le couloir et qui n’avaient pas de gilet de sauvetage.

C’est une des raisons qui font que dans le titre de Sorcière NRV, il y ait volontaire, car nul ne saurait imposer à un sorcier ou à une sorcière de telle épreuves sans son consentement.

Mais aujourd’hui Jessica Rabosse râlait comme un putois! Il est vrai qu’elle rouspétait souvent, parfois même pour pas grand chose, mais il faut reconnaître que cette fois-ci sa colère était justifiée: c’était la troisième fois dans la  semaine qu’on lui volait son balai! Ça commençait à l’énerver sérieusement. La poudre de cafard commençait à lui échauffer sérieusement les narines qu’elle avait naturellement sensibles!

Qu’avaient-ils soudain tous à lui dérober ses balais? Le dernier, elle l’avait gardé cinq ans, jusqu’à un malheureux dérapage lors d’une poursuite après un fantôme récalcitrant. Et puis là, en moins d’une semaine, trois balais disparaissent coup sur coup. Incroyable! D’autant plus que ce n’est pas facile de trouver un balai à sa main…

Il faut vous dire que pour une sorcière, le balai est aussi important que le violon du soliste d’un grand orchestre. Ils sont leur compagnon de route, prêts à s’envoler à la moindre demande, pour traverser la terre à la vitesse du vent. Fidèle coursier ou compagnon imprévisible, ils sont ce que Tornado est à Zorro, ce que le steak haché est au frites… Certains disent même qu’ils sont  ce que Mario est au gameboy mais là, ils exagèrent un peu.

Il y en a des souples, des nerveux, des doux, des rudes, des dociles, des qui n’en font qu’à leur tête. Elle aimait bien ces derniers: certes ils sont difficiles à diriger, mais ils sont aussi capables de prévoir et d’anticiper les événements. Elle aimait bien qu’un balai ait de la personnalité. Elle disait souvent:

« Si une sorcière est une sorcière,
c’est parce qu’elle a du caractère .
Son balai doit être solide et fier,
pas de la race des serpillières. »

Elle ajoutait souvent: « Tonnerre de tonnerre! »

Rabosse aimait bien faire des phrases qui sonnent bien, elle était aussi connue pour ça lors des grandes réunions annuelles de sorcières au Palais des Sornettes. Mais aujourd’hui, elle ne savait que jurer:

« Mais tonnerre de tonnerre, c’est quoi ce jus de crapaud? qui est le gros bœuf bouilli qui ose voler mes balais? Cette poussière de balayures  a du yaourt à la place de la cervelle!  Oser s’attaquer à Rabosse Jessica, sorcière trois chaudrons de son état, diplômée de la S.N.C.F.! (Sorcellerie Nouvelle et Crapauds Fermentés). Quel inconscient s’aventure à me réduire à l’état de piéton, au risque que je le transforme en pet d’huître ou en rot de phacochère? Non mais c’est pas possible ça, je ne le crois pas, je rêve, que dis-je, je,…  je, je…  je cauchemarde!  AAHHHRR!! Foudre et coulée de vase! »

Dérober le balai d’une sorcière, voilà qui était périlleux, mais aussi inconsidérément dangereux, car une sorcière en colère est incontrôlable!

Et quelle sorcière… Rabosse avait un palmarès impressionnant. Pour ne citer que  quelques unes de ses plus célèbres réussites, elle a inventé les caries, les sucreries et les brosses à dents le même jour. C’est elle qui eût l’idée il y a fort longtemps d’inventer les cactus, ceux avec les épines si fines qu’on ne s’aperçoit jamais tout de suite qu’on en a plein les doigts. Elle a réussi à inventer des biscuits si fragiles, qu’ils ne sortent jamais entiers du paquet. C’est elle, dit-on qui a soufflé l’idée à Charlemagne d’inventer l’école. Vous rendez vous compte de l’étendue de ses pouvoirs, de l’ingéniosité de ses sorts!
Elle disait souvent:

« Un sort est un sort:
il est à la sorcière
ce que le bateau est au port,
ce que la souris est à la souricière. »

Jamais pareille mésaventure ne lui était arrivée, même en période de printemps, où les gens avaient besoin de balais pour leur grand ménage de printemps, justement.

C’est donc dans cet état de fureur, qu’elle rentrât chez elle. Bougonnant tout le long du chemin, elle ne prit même pas garde aux trois princes charmants qu’elle croisa sur son chemin. En temps normal ceux-ci auraient été immédiatement transformés respectivement  en crapaud, en cochon et en ver de terre, le tout dans un éclat de rire que les environs connaissaient fort bien. Elle ne leva même pas le nez sur leur passage: ils s’en étaient bien tirés cette fois-ci, Ils avaient eu chaud à leurs chausses les chérubins: les princes étaient restés charmants.

Arrivée chez elle, elle claqua si violemment la porte qu’elle réveilla le corbeau qui dormait sur son perchoir. Trois araignées tombèrent du plafond et partirent tisser ailleurs.

« Bon maintenant, où vais-je pouvoir trouver un balai? En plus à l’heure qu’il est, les magasins spécialisés sont déjà fermés. Quelle poisse!! »

Le corbeau s’ébroua le plumage et s’éclaircit légèrement la gorge:  » Crôaaaa…

- Ah si tu croasses ça me froisse. » Même de mauvaise humeur Rabosse aimait faire rimer sa colère.

Elle se voyait mal passer tout le week-end privée de moyen de locomotion. C’est que l’on s’habitue à son confort. Un jour, elle avait bien essayé un aspirateur, mais elle avait trouvé la machine trop puissante et trop bruyante. En plus il fallait s’arrêter tous les 15 à 20 sorts pour changer le sac. Elle avait aussi essayé une balayette: très pratique pour les petits déplacements en ville, mais fort peu confortable pour les longs trajets. Non, décidément, rien ne pouvait remplacer un bon vieux balai. Et les meilleurs balais venaient tous de chez Plumeau,

« la maison qui fabrique depuis des millénaires,
les balais des sublimes et des pires sorcières
. »
Leur devise disait également:
Un balai de qualité
ne vous laisse jamais tomber. »

Ce qui vous en conviendrez, est essentiel pour une sorcière qui le chevauche.

Elle repartit donc aussi vite qu’elle était venue, à pied, malheureusement pour elle. Quand elle arriva chez Plumeau, elle trouva porte close. Comble de  malchance, un petit écriteau sur la porte du magasin indiquait que la maison était fermée pour ses congés annuels.

Les établissements Plumeau et fils seront fermés à compter de ce jour pour une durée de trois semaines.
nous vous souhaitons de bonnes vacances, la direction.

Telle une marmite au contenu  en ébullition, elle bouillait sur place, au point que de petits éclairs incontrôlés s’échappaient tout autour d’elle. Doucement son chapeau était soulevé par ses cheveux qui commençaient à friser et à prendre un couleur  légèrement bleutée. Il n’aurait pas fait bon lui demander son chemin à ce moment là.

« Tu parles de vacances,
je suis toute en transe
je le prends comme un offense.
Je m’arrête et je pense. »

Elle prit un peu de recul, et regardant fixement la porte, se dit qu’il devait lui être possible d’entrer et de se servir, juste  pour se dépanner. Elle laisserait un mot pour s’excuser de cet emprunt, et en tant que fidèle cliente depuis trois siècles et demi, ils ne lui en voudraient certainement pas. Calmant ses ardeurs colériques, elles se concentra, son regard se fit plus intense, et elle disparut soudain de la rue pour se retrouver dans la pénombre de la boutique fermée.
Personne… Il n’y avait personne.
Autour d’elle très peu de balais semblaient l’entourer. Peut-être les Plumeau avaient-ils décidé d’écouler leur stock avant de partir en vacances. Dans la faible lumière qui passait à travers les volets, elle saisit un balai, prononça la formule magique que je ne peux ici  vous dévoiler, et qui sert à rendre volant un balai ordinaire. Elle l’enfourcha, le tint fermement de sa main gauche en pointant de la droite la direction qu’elle souhaitait prendre. Elle resta les deux pieds collés au sol ! Elle fit un gros effort pour maîtriser sa colère, et se dit qu’elle avait du oublier quelque chose. Alors elle descendit de son balai, re prononça la formule magique, l’enfourcha, fit le geste de la main … Rien !
De rage elle le jeta au sol, et là elle s’aperçut que ce n’était que le manche d’un balai !
En d’autres temps et en d’autres lieux, elle en aurait ri, mais ici et aujourd’hui, non. Évidemment que cela ne pouvait pas marcher, malgré tous ses efforts.

 

« Un balai privé de ses poils
n’est pas un balai normal,
Il fonctionne mal
ça c’était fatal. »

Plissant les yeux pour percer la pénombre, elle chercha un autre balai. Elle en vit un dans un coin de la pièce. Elle le prit et au premier mouvement qu’elle fit, tous les joncs composant sa brosse s’étalèrent sur le sol.
Ah me voilà bien, pensa-t-elle. dans mon malheur j’ai eu de la chance; si j’avais décollé avec celui-ci, j’explosais en plein vol!

Elle déposa le manche restant, à l’endroit où elle l’avait trouvé. A coté, un autre balai: prudente, elle le secoua. Celui ci avait l’air solide. Elle reprit donc sa formule, enfourcha sa nouvelle trouvaille, pointa son doigt, et là, elle fut arrachée violemment du sol, pour n’enchaîner que des mouvements vifs et désordonnés. Elle était secouée de droite et de gauche, sans rien pouvoir contrôler malgré tous ses efforts. Cela ressemblait plus à un rodéo sur un kangourou poursuivi par deux cents abeilles en pétard, qu’au vol rapide et gracieux d’une hirondelle. Passant près d’un pilier, elle tendit le bras droit, et pendant que le balai alla s’éclater au fond du magasin, elle en fit quatre fois le tour avant de toucher terre. Un peu tourneboulée, elle pensa:

« Ce numéro de voltige
m’a filé le vertige. »

Remise de ses émotions, elle alla voir  ce qu’il restait du taureau furieux qu’elle avait tenter sans succès de chevaucher. En l’examinant, elle s’aperçut que les joncs du balai n’étaient pas coupés, donc très irréguliers. Elle avait eu à faire à un balai sauvage (les plus dangereux), impossible à maîtriser! Elle s’en sortait bien  finalement, il aurait pu la coller au plafond, l’écraser sauvagement au sol, ou encore la projeter violemment cotre un mur.

Après une fouille minutieuse de l’entrepôt de la famille Plumeau, elle trouva deux autres balais. Seulement, ils étaient très légèrement tordu , si bien qu’il lui était impossible de voler droit. Elle était obligée  au bout d’un moment, afin de garder l’axe de sa course de se déhancher sur le coté à la manière des pilotes  courses de moto. C’était pénible, fatiguant et un rien ridicule pour une sorcière de sa catégorie. En un mot elle méritait mieux  «foi de scorpion furibond».

D’autres dont les manches étaient tellement mal poncés, lui avaient laissé des échardes plein le postérieur.

«On a beau être une affreuse sorcière,
il faut savoir ménager ses arrières»

Elle trouva pour finir des balais si moches, qu’elle aurait eu trop honte de sortir avec dans la rue. Elle aurait craint que même les plus affreuses gargouilles se moquent d’elle. Non pas question.

Elle dut se faire une raison, se résigner à rentrer chez elle comme elle était venue: à pied.

Elle devrait se résigner et attendre la réouverture du magasin pour obtenir une monture digne de ce nom.

Les mêmes princes aussi charmant qu’inconscients croisèrent sa route une nouvelle fois, n’ayant pas bougé de la journée, certainement figés par l’amour de leur mie; et pourtant aucun d’entre eux ne se métamorphosa en crapaud. Une désolation…

Elle passa donc trois semaines à redécouvrir les plaisirs de la marche et à rechercher dans les grimoires les sorts qui permettent de se déplacer sans efforts humains ou surhumains.

Quand le magasin ré-ouvrit, elle fut heureuse de se faire guider par un vrai spécialiste, qui lui conseilla également d’équiper sa nouvelle monture d’un système d’alarme très performant, transformant tout escamoteur de balai en poussière.

Si donc un jour, vous croisez un balai qui semble s’ennuyer au coin d’une rue, méfiez vous ! Faites un détour et n’y touchez pas! C’est peut-être celui de Jessica Rabosse, sorcière expérimentée, diplômée, et quelque peu chatouilleuse.

« que chacun balaye devant sa porte,
sinon les gêneurs de toute sortes
sauront vite combien je chausse
Foi de  Jessica Rabosse!»


Alors, à bon entendeur, salut.

 

*NDLA: Voir aussi « Sortie de l’EDF», « Sale temps pour fée Line », « Les salades de Fée Brile »

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