Les salades de Fée Bryle

Le problème quand on est une fée, de nos jours, c’est que l’on doit essayer de passer inaperçu. On doit donc supporter les petits tracas de la vie quotidienne sans broncher, comme tout le monde, et surtout en utilisant le moins possible ses pouvoirs de fée. Ou alors il faut les utiliser d’une façon très discrète.
Bref, il faut éviter de se faire remarquer. C’est déjà difficile de résister pour une fée, mais pour trois, c’est encore plus dur.
Après avoir obtenu leur Capef*, diplôme couronnant les études de l’EDF (Écoles Des Fées), Lyne Bryle et Lycitée avaient décidé d’habiter ensemble. Dans un immeuble en ville, elle trouvèrent un appartement assez grand pour elles trois. Elles y aménagèrent facilement, n’ayant presqu’aucun meuble à transporter, et laissant à leur imagination le soin de tout décorer. C’est donc dans leur nouvel appartement qu’elles mirent en pratique les leçons apprises à l’EDF. A l ‘abri des regards indiscrets, elles s’en donnèrent à coeur joie: à grand coups de formules magiques et de circonvolutions de baguettes, elles créèrent leur mobilier. Tout ne fut pas réussi du premier coup. Bryle par exemple tenta de faire apparaître un lit à baldaquin que seul un château du moyen âge aurait pu contenir; il était beaucoup trop grand pour sa petite chambre si bien qu’elle ne pouvait plus en ressortir. Cela fit également un grand bruit car le plafond était plutôt bas. C ‘est comme cela qu’elles firent connaissance avec leur voisin du dessus, venu demander si elles avaient besoin d’aide. Enfin Lyne et Lycitée.
Bryleelle était coincée dans la chambre à cause de la taille démesurée de son lit. Ces amies vinrent l’aider après avoir raccompagné le voisin du dessus. Elles passèrent deux bonnes heures à chercher dans leurs manuels les formules de rétrécissement. Quand elle les trouvèrent ce fut Lyne qui essaya la première. Pour rétrécir, le lit rétrécit, et en plus à une taille normale. Le seul problème c’était qu’elle l’avait rétréci par le bas, et le lit tomba de la hauteur du plafond … Vous imaginez le boucan! C’est comme cela qu’elles firent connaissance avec les voisins du dessous. Ceux-ci, inquiets, montèrent voir ce qui se passait. Après avoir fait connaissance il repartirent rassuré de savoir que trois jeunes filles apparemment tranquilles allaient habiter au dessus de chez eux. Mais le lit n’était pas ou Bryle je souhaitait. Pour le déplacer elles s’arqueboutèrent et poussèrent, poussèrent, mais il ne bougea pas d’un quart de centimètre. Lycitée prit les choses en main: «Écartez vous et laissez moi faire. » Sans quitter son sourire, elle ferma les yeux et ses lèvres prononcèrent une formule destinée à déplacer les objets. Elle avait bien fait de commencer sa phrase par « écartez vous » car le lit alla frapper violemment le mur d’en face. C’est comme cela qu’elles firent connaissance avec la voisine d’à coté.
Une petite vieille dame sonna à la porte. Affolée, un poisson rouge sautillait dans ses mains. «Vous n’auriez pas un bocal pour mon Napoléon? Mon dieu, je ne sais pas ce qu’il c’est passé! J’ai entendu un grand bruit et j’ai retrouvé mon pauvre poisson au milieu d’une flaque d’eau, son bocal en miette. Vite! vite!
– Euh oui, bien sur. Entrez je vous en prie; On va vous trouver quelque chose, dit Lyne. Bryle! Lycitée! Allez donc chercher un bocal à la cuisine pour ce pauvre petit poisson. – Mais quel b…
– Viens m’aider, dit Lycittée. Je sais où il y en a un. » Et avant qu’elle n’ait pu ajouter un mot, elle l’entraîna vers la cuisine .
« Et où tu as vu un bocal, toi?
– Chut! Doucement. Je n’en ai pas vu, mais on doit pouvoir en faire un, non?
– Oui évidemment! Tiens regarde je m’en occupe. Assure-toi que personne ne vient. »
Placée devant la porte Lycitée regarda Bryle se concentrer. Elle lui dit juste avant le mouvement de poignet sensé donner l’impulsion magique à la baguette: «Surtout, tu ne penses pas aux citrouilles!» Elles remplirent le bocal d’eau et l’amenèrent à la voisine qui s’exclama: «Mais quel joli bocal! Il est trop beau pour mon Napoléon. Il est en forme de … de pastèque, c’est ça?
-Presque, de citrouille plus exactement dit Lycitée d’un air renfrogné.
– C’est ta faute aussi, au moment où j…
– Il vous plaît au moins? interrompit Lyne.
– Oh oui, mais il ne va pas vous manquer au moins?
– Oh non, on en a plein des comme celui la, enfin… Je veux dire que l’on peut en avoir comme on veut!
– Oui même quand on ne veut pas, c’est vous dire!
– Vous êtes bien gentilles mesdemoiselles. Mais je ne veux pas vous déranger plus longtemps. Il faut que j’aille éponger la flaque avant que ça ne tache mon parquet. Je me demande bien ce qui à pu faire trembler l’immeuble comme ça?
– Oui effectivement on se le demandait aussi!
– Ne me regardez pas comme ça, dit Lycitée, moi aussi je me demande ».
La petite dame rentra chez elle et les trois amies se firent un petit thé pour se remettre de leurs émotions. Elles firent chauffer de l’eau sur la cuisinière, après avoir allumé le feu normalement. Elles firent tout normalement et ce fut d’un grand repos pour elles, mais aussi pour le voisinage. Pour ménager leur anonymat, elle firent donc une promesse mutuelle: celle de ne pas utiliser la magie pour les taches quotidiennes. Après tout, les gens normaux y arrivaient très bien.
Tout se passa très bien jusqu’au jour où … en rentrant de faire les courses, Bryle prit l’ascenseur.
Jusqu’à présent, personne dans l’immeuble ne se doutait que ces trois jeunes filles puissent être des fées. Elles avaient la modestie et la discrétion que doivent avoir des jeunes filles qui sortent de l’EDF. Donc Bryle prit l’ascenseur en revenant du marché; Il s’agissait d’un de ces vieux ascenseurs étroits, aux portes grillagées; Elle ouvrit les portes, se glissa à l’intérieur et appuya sur le bouton du troisième étage avec son nez, car elle était chargée de deux énormes paniers à provisions débordants de légumes. Des carottes, des poireaux, quelques navets, de belles bottes de radis et surtout de superbes salades. L’ascenseur se mit en marche comme d’habitude avec quelques soubresaut, suivi de grincements signes que la mécanique de cet appareil laissait à désirer. Mais il n’arriva pas au troisième étage et se bloqua entre le premier et le deuxième. Bryle, très énervée et un peu inquiète également, essaya de se calmer: il est vrai qu’il n’est jamais très agréable de se trouver bloqué dans un ascenseur, ni autre part d’ailleurs. Elle pensa à se servir du bouton d’appel qui existe dans tous les ascenseurs. Elle appuya un peu nerveusement sur le gros bouton rouge marqué «Appel D’Urgence». Celui ci sensé donner l’alarme se contenta de clignoter un dernière fois avant de sauter de son logement. Un ressort pendait lamentablement de cet orifice, pendant que roulait à ses pieds un petit cercle de plastique rouge. Sachant que ni Lyne ni Lycitée n’étaient présente à cette heure là, elle ne devait plus compter que sur elle même. Elle se dit qu’elle pourrait le remettre en marche sans attendre le dépanneur. Sans lâcher ses deux cabas, elle ferma les yeux et une petite poussière multicolore emplit la cabine. L’ascenseur se remit doucement en route dans un bruit feutré qu’elle ne lui connaissait pas. Elle était assez fière de sa réparation, sauf que le bruit commençait à être plus important. L’ascenseur ne s’arrêta pas au troisième, ni au quatrième. Le son commençait à ressembler davantage à une turbine d’hélicoptère qu’à celui de l’ascenseur d’un grand hôtel. Il ne s’arrêta pas non plus aux étages suivants. Se servant de la cage d’ascenseur comme d’une rampe de lancement, la cabine prit tant de vitesse, qu’elle quitta l’immeuble après avoir arraché une partie du toit dans un grand fracas. Bryle blêmit, cramponnée à ses paniers d’où débordaient salades et poireaux. Elles se rendait bien compte de sa bêtise, et que ses connaissances en mécanique n’étaient pas très bonnes. En quelques secondes, Bryle dépassa les nuages, puis l’ascenseur ralentit, ralentit, ralentit au point qu’il s’arrêta. Notre fée maladroite se dit qu’il fallait faire quelque chose et vite !
La cabine commençait à redescendre quand Bryle sentit un léger choc et manqua de perdre l’équilibre. Elle avait comme la sensation d’avancer maintenant… Quand elle tourna la tête sur sa gauche, elle vit coté d’elle, à travers d’une drôle de fenêtre ronde, la figure éberluée d’un monsieur qui la regardait fixement, les yeux écarquillés, la bouche ouverte. C’était un hublot d’avion, cette petite fenêtre bizarre … Bryle et son ascenseur s’étaient posés sur l’aile d’un avion ! Rouge de honte, les paniers à la main, nôtre jeune fée mit quelques secondes à réaliser puis à réagir. Elle n’osait pas regarder les gens qui commençaient à s’agiter dans l’avion. Quand elle décida de disparaître une poussière multicolore l’entoura, mais elle partit sans la cabine qui resta posée sur l’aile de l’avion. Un peu plus tard, encore un peu essoufflée, elle était en train de ranger les légumes dans la cuisine quand Lyne et Lycitée entrèrent.
« Bonjour Bryle. Dis nous, que c’est il passé?
– Euh, à quel sujet ?
– Eh bien, au sujet du trou dans le toit de nôtre immeuble … Qu’est il arrivé à l’ascenseur ? On dirai qu’une grue géante l’avait arraché par le haut.
– J’en sais rien! Quand je suis arrivée, il était dans cet état là. Et croyez moi que chargée comme je l’étais, j’aurais préféré qu’il fonctionne … Bon vous m’aidez un peu à ranger ces légumes ?
– Oui bien sur, excuses nous dit Lycitée. Qu’est ce que tu nous a ramené du marché?
– Oh un peu de tout, des radis des poireaux et de belles salades.
– Mais dis moi, ces salades, pour de belles salades, elles sont curieuses: elles sont toutes déchiquetées !
– Ah ? Euh oui, le marchand m’ a fait un prix à cause de leur état … Mais il m’a dit qu’elles étaient très bonnes quand même.
– J’espère, répondit Lyne, parce qu’elles ont aussi triste mine que les poireaux … – Ah ? Euh oui les poireaux aussi; je crois qu’ils ont voyagé en dépassant du camion. Le vent les aura un peu maltraité.
– Oui comme tes cheveux les jours de grand vent. Par exemple aujourd’hui, tu es coiffée comme une botte de radis qui aurait voyagé dans le camion de ton marchand. »
Lyne et Lycittée éclatèrent de rire; Bryle un peu gênée sourit quand même. «Ah oui oui très drôle. On voit bien que c’est pas vous qui avez fait les courses. Il y avait un de ces vents au marché! »
Plus tard dans la soirée, le présentateur du journal télévisé annonça une étrange nouvelle. On avait retrouvé une cabine d’ascenseur sur l’aile d’un avion qui allait se poser sur l’aérodrome de la ville. Certains témoignages confus semblaient indiquer qu’à l’origine, une jeune fille au visage rouge et entourée de légumes s’y trouvait. Les enquêteurs n’ayant pas retrouvé sa trace pensent qu’ils s’agit d’un canular, d’une plaisanterie . A moins que ce ne soit ce que l’on appelle une hallucination collective due au mal des transports. Quand Lyne et Lycitée entendirent cette information, elle se retournèrent vers Bryle, rouge comme une pivoine. « Dis donc Bryle, il ne manque plus que tes légumes en soldes pour que tu correspondes parfaitement au portrait de l’équilibriste qui a réussi cet exploit. » Dit Lyne en fronçant les sourcils, et en se mordant les joues pour ne pas rire. Alors que le teint de Bryle virait à la tomate cramoisie, Lycitée ajouta: « La prochaine fois j’irai au marché avec toi, ça fait longtemps que je n’ai pas pris l’avion !”

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