Drôle de chemin.

Pas trés bien réveillé, Pierre devait s’habiller pendant que sa maman lui préparait le petit déjeuner. C’était toujours un peu difficile d’enfiler ses affaires le matin: il fallait que les étiquettes soient derrières, sinon maman le redéshabillait et lui faisait mettre dans le bon sens. Les chaussettes devaient être correctement enfilées au risque de faire de désagréables plis dans les chaussures, chaussures qu’il fallait bien sûr lacer, même si ce n ’était pas la mode à l’école. Une toilette de chat pressé par la faim, et hop, voilà Pierre attablé devant un grand bol de chocolat chaud, entouré de délicieuses tartines avec sa confiture préférée.

Après avoir fini son petit déjeuner, Pierre embrassa sa maman. Il prit son cartable puis comme tous les jours sortit en direction de l’école. Quand il referma la porte de l’appartement, il n’en reconnut pas le bruit. Celle-ci fit un son profond, grave et lourd comme celle d’un vieux château fort, accompagné de sinistres grincements qui ressemblaient  à ceux qu’auraient fait les rouages en bois et les chaînes qui retiennent une lourde herse.

Pierre n’y prêta pas plus d’attention que ça, pensant qu’au même moment, les éboueurs ramassaient les poubelles plus haut dans la rue. Le vieux camion grinçait un peu, cognait fort les poubelles lors de leur basculement dans la benne et réveillait régulièrement le voisinage. D’ailleurs, tout le quartier s’en plaignait régulièrement.

Mais quelle ne fut pas sa surprise quand il arriva dans la rue! Souvent il s’amusait à longer le bord du trottoir en glissant un pied devant l’autre, tout en imaginant qu’il bordait un dangereux précipice. Mais ce matin… au bord du trottoir, à la place de la rue, il y avait… un fossé. Un fossé profond rempli d’eau! Pas une simple rigole, non, mais un large fossé où flottaient quelques algues. Pas de voitures garées comme tous les jours, juste de l’eau, sombre. Et un fond qu’on ne pouvait distinguer !

Il longea prudemment l’eau en direction de l’école. Ce chemin qu’il connaissait bien pour le faire tous les jours, avait bien changé. De l’autre coté, il y avait toujours les mêmes maisons que la veille. Arrivé au bout de la rue ou du moins ce qu’était la rue, il s’apprêtait à traverser le carrefour; mais voilà… plus de carrefour, juste un pont de bois. Normal me direz-vous, il fallait bien traverser la rivière.
Pierre hésitait un peu quand il entendit un bruit derrière lui. Se retournant, il n’eut que le temps de s’écarter pour laisser passer un cavalier et son cheval qui s’engagèrent sur le pont et le traversèrent au galop, dans un bruit d’enfer. Le petit pont de bois résonna et trembla sous les sabots de ce lourd destrier, dont le cavalier revêtu d’une armure semblait pressé. Pierre avait encore la bouche grande ouverte, que déjà avait disparu à l’horizon cet étrange équipage. Il ne restait qu’un épais nuage de poussière qui dissimulait la mairie.

Son cœur battait un peu plus vite et un peu plus fort que d’habitude. Que se passait-il? Pas un chat aux alentours alors que d’habitude à ce carrefour, où plutôt … à ce pont, il aurait au moins du rencontrer son ami Nicolas qui descendait de son immeuble pour se rendre lui aussi à l’école. «Peut-être suis-je trop en avance? » pensa t-il. Et puis pour descendre de son appartement, il faudrait qu’il y ait encore l’immeuble…

La poussière du passage du cavalier enfin reposée, ne laissait plus entrevoir que quelques haies d’arbres et des champs de blés avec de ça de là quelques pommiers.

Il s’engagea sur le pont, et ne put s’empêcher de s’arrêter au milieu, de glisser sa tête entre deux rondins de bois pour regarder l’eau; à travers les reflets de la surface il  distinguait trois énormes carpes qui ondulaient tranquillement au milieu des algues dans le calme des eaux immobiles.

« Salut Pierre! »

L’exclamation le fit sursauter, et Bong!! La rambarde du pont était bien dure pour sa pauvre petite tête. S’extirpant avec précaution cette fois-ci, il aperçut son ami Benoît qui, lâchant une main du guidon de son vélo, lui faisait un grand signe.

« Ouais, il en a de la chance Benoît d’aller à l’école en vélo. »

L’école ! Si je continue, je vais être en retard et la maîtresse va se fâcher. En plus, si je lui raconte ce que j’ai vu, elle ne va pas me croire, mes copains non plus, ils vont se moquer de moi, et pourtant. Pierre reprit son chemin en courant, les mains sur les bretelles de son cartable pour ne pas que celui-ci tape dans son dos. Une voix le fit se retourner:

« Attention, Pierre ton lacet est encore défait. Tu pourrais tomber. »

C’était monsieur Archambault, un de ses voisins, qui comme tous les matins promenait son chien pour lui faire faire…
Son chien?
Non seulement monsieur Archambault était bizarrement accoutré, dans de vieux vêtements trop grands et un peu sale mais au bout de la laisse il y avait un énorme bœuf qui tirait une vieille carriole en bois, remplie de paille.
« Mais  monsieur Archamb…
- Il n’y a pas de mais mon garçon, tu vas te casser la figure si tu ne refais pas ton lacet. A ton âge tu devrais savoir-faire correctement les nœuds de tes chaussures. Ah, pendant que j’y penses-tu diras à ta maman que ce soir je lui apporterais les deux bidons de lait qu’elle m’a demandé. »

Pierre s’arrêta près d’un gros chêne pour refaire le lacet de son basket, le gauche, celui qui ne tenait jamais. Il ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi sa maman avait besoin d’autant de lait, et pourquoi son voisin avait échangé son petit caniche contre cet énorme ruminant.

Près de lui dans un buisson, un souffle fit trembler le feuillage. Pierre en reculant trébucha sur un caillou, et se retrouva les quatre fers en l’air, adossé à un talus.
Un grognement sourd s’éleva du buisson.
Pierre se releva très vite. Il avait si peur et était tellement étonné qu’il ne bougea pas d’un millimètre, même quand du buisson émergea la tête d’un dragon!

Le dragon s’adressa à lui:

« Dis-moi, est-ce toi fanfaron de chevalier, »

« qui raconte partout qu’il va débarrasser »

« le pays de mon encombrante présence? »

« Je suis de bonne humeur, tu as de la chance! »

La voix grave et le ton impressionnant de l’animal ne rassura pas notre ami. Tremblant, Pierre réussit à peine à articuler après avoir avalé le peu de salive qu’il lui restait:

« Heeeeu… Non. »

Le dragon reprit:

« Alors, que fais-tu là? Et quelle étrange armure! »

« car pour me vaincre, il ne suffit pas d’un cœur pur. »

« Il te faudra en plus d’un peu de courage,

« une épée bien trempée pour affronter ma rage. »

 

Puis il continua d’une voix étonnamment douce.

« Dépêches-toi Pierre de venir déjeuner, sinon tu vas être en retard à l’école. »

Cette voix… ! ?
C’est la voix de maman!
Pierre, qui terrifié avait fermé les yeux se décida à les ouvrir; Il aperçut alors sa maman penchée à la fenêtre qui ouvrait les volets de sa chambre comme tous les matins.

Oui, sa chambre!
Nul dragon, pas plus de chevalier en armure que de sorcière sur son balai. Aucun dragon ni de vaisseau spatial à l’horizon…

D’un bond il descendit de son lit. Dès qu’il eut fini sa toilette, il s’habilla, et alla à la cuisine engloutir un petit déjeuner qu’il avait bien mérité. Après de telles aventures, Il était rassuré de retrouver le monde bien en ordre qu’il connaissait. Finalement, tout cela n’était qu’un rêve, et c’était beaucoup mieux comme ça. Il n’est pas facile tous les matins de devoir discuter avec un dragon en allant à l’école.

Pierre embrassa sa maman, prit son cartable, puis sortit en direction de l’école. Quand il referma la porte de l’appartement, il n’en reconnut pas le bruit…

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