La Halle

 

La tension est palpable. Une foule nombreuse se presse à l’entrée du bâtiment. Pas de haut cri, non. Une tension palpable. Certains fument nerveusement, d’autres, l’oreille vissée au téléphone cherchent nerveusement à joindre le partenaire indispensable, celui qui va l’initier, le conduire, le conseiller, lui montrer.

De petits groupes se forment. Les portes sont ouvertes, mais ce n’est pas l’heure. La chaine est encore tendue, comme le reste.

A l’intérieur, la vaste halle blanche résonne doucement, les corps sacrifiés alignés les uns près des autres dans un ordre quasi militaire. Les cous tendus, les chairs blanches comme offertes et indécentes, la répétitivité des formes allongées rajoute à la dramaturgie. Tout se met en place et soudain, un coup de sifflet… Les choses vont vite : la foule se tasse, les chaines tombent, une vague se répand dans les allées. La halle blanche est maintenant noire de monde, alors qu’un micro crache des informations qui se noient dans un brouhaha qui se fait vacarme. On ne se bouscule pas mais la promiscuité est notoire. Chacun veut voir et parfois toucher. Tous réfléchissent car l’anticipation est de mise en ce domaine. Et pourtant il faut faire vite. Les visages sont crispés, mais l’on sent paradoxalement derrière cette marque, cet indice de préoccupation, une jouissance en perspective. On négocie, les mains échangent puis les bras se chargent. Soit on a prévu, soit on fait un détour chercher de quoi ramener son butin. Des bénévoles proposent leurs services maniant le couteau avec dextérité. On sent le savoir faire ancestral, la méthode transmise, la volonté de trancher dans la chair avec respect. Les canards et les oies qui passent là sont soigneusement découpés. Ça sent les fêtes prochaines, les bons moments en famille, c’est la première concrétisation de la promesse de plaisirs partagés : ça sent la générosité.

C’est un marché, un échange de produit contre espèces sonnantes et trébuchantes, mais c’est bien davantage. On est là pour faire plaisir aux enfants quand ils viendront pour les fêtes, pour montrer aux amis d’où viennent les produits dont ils se sont régalés lors de leur dernier passage. On vient ici pour faire découvrir l’endroit à des chinois qui éclatent de rire à la vue des posters de volailles affublés de bonnets de père noël. On montre à son petit fils que le foie gras vient de ces bestioles là.

L’activité du marché au gras et les foules qu’il déplace sont une concentration d’identité culturelle tant les profils qui se découpent ici sont particuliers. C’est en prévision de futures agapes qu’on salive d’avance, à l’idée de partager de délicieux moments de convivialité, véritable trésor de notre terroir.

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