Y’en a des trous !

« Dis donc, y’en a des trous dans ton chemin ! ». Eh oui. Parce qu’au départ, il faut que je vous dise, j’ai un chemin. Avant d’avoir des trous, j’ai d’abord un chemin.

Habitant à la campagne, après avoir traversé le village, il faut emprunter sur moins de deux kilomètres avant de le rendre, un charmant petit chemin vicinal ondulant sur la crête de collines, offrant de variés panoramas aux courbes vallonnées, sur fond de frise pyrénéenne. Jusque-là, en principe, tout va bien. Mais comme toute bonne chose a une fin comme me l’ont souvent répété mes parents, sages et résignés, pour atteindre notre maison-vaisseau-familial (voir les aventures précédentes), il faut quitter la voie carrossable et s’engager sur un chemin de terre empierré, qui amène le visiteur jusque dans nos bras. Enfin cela dépend du degré d’intimité, cependant en général, ils arrivent.

« Eh oui ! Personne ne me les bouche, alors, forcément… y’a des trous. »…

Le problème avec cette réflexion, c’est qu’elle me cueille dans des états d’esprit différents mais que globalement, elle a le don de m’agacer quasi instantanément. Là, en fonction du susdit degré d’intimité qui nous lie avec l’arrivant survivant à l’épreuve, j’essaie de doser mon irritabilité. Parfois pour faire dans la douceur j’explique que tous les ans, je fais venir un camion de pierre blanche qui me pose dans un doux bruissement un tas de douze tonnes que j’étale de mes petits bras musclés afin de niveler au mieux les parties endommagées. En dehors de toutes considérations techniques sur lesquelles nous pourrions disserter, mais je n’y tiens pas, le problème réside essentiellement dans le fait que les trous se reforment d’années en années. C’est l’un des mystères de notre temps, sur lequel j’aimerais que de savants chercheurs émérites se penchent, à savoir : pourquoi quand on enterre quelque chose, ce quelque chose remonte t’il inexorablement à la surface, et pourquoi quand on empierre un chemin les cailloux disparaissent-ils systématiquement au fond des mêmes trous ? Si un jour je veux faire disparaître un cadavre, je sais désormais comment le soustraire à la sagacité des éventuels enquêteurs. Bref… Entretenir plusieurs centaines de mètres d’un chemin de campagne sans les moyens mécaniques des services de l’équipement n’est pas chose facile malgré l’aide aussi enthousiaste que passagère de certains amis qui s’y sont parfois collés.

 

« Seuls les survivants s’en plaignent » …m’est il arrivé de répondre. D’ornières à nids de poule, les qualificatifs ne manquent pas, mais il ne s’agit pas non plus d’excavations. On peut les éviter. Certes je ne le nie pas, ce n’est pas une autoroute et je comprends l’angoisse de certains de mes amis qui, motard comme moi, suent intensément sur leur deux-roues et retardent l’instant fatal de leur départ, préoccupés par le trajet retour. Quoique décorative et tendrement bucolique, la bande herbeuse du milieu, représente un piège glissant qui peut faire perdre l’équilibre à la moindre inattention. Cependant, en voiture rien ne représente un réel danger. J’emprunte quotidiennement ce chemin, de nombreuses fois, chaque jour, et nos deux véhicules passent sans encombre.

 

« Et oui, j’ai beau faire, les trous se reforment »…mais tu as fait face à l’adversité avec un courage exemplaire ne puis-je m’empêcher de penser. Faut-il que les gens aient vraiment envie de nous voir pour surmonter cette terrible épreuve. C’en est émouvant. Quelle preuve d’amitié ! Bon, certains sont obligés, ne serait-ce que pour récupérer leur progéniture ayant souhaité passer quelques temps auprès des nos enfants, inconscient des dangers auxquels ils exposaient leurs géniteurs.

 

« Tu as de ces flaques, dis donc »… Oui, quand il pleut, l’eau ne s’écoule pas partout aussi rapidement. J’ai beau passer deux fois par an quelques heures à pratiquer des saignées destinées à faciliter son évacuation, les passages de tracteurs qui accèdent aux champs voisins, les camions des livreurs ou nos passages répétés font que oui, y’a également des flaques. Car autre révélation, il est à noter que tout trou se transforme en flaque ! Par temps pluvieux évidemment, parce que sinon, par temps sec le trou reste trou. A moins de devenir bosse, temporairement, lors de son comblement par la gravette (petite pierre blanche d’origine calcaire) déposée en son sein, mais qui ne tardera pas à aller voir ailleurs si elle peut endommager un pot d’échappement de passage.

 

« Je crois que j’ai touché là-bas »… Ah mince ! Et là, révélation supplémentaire : par notre inconséquence, par notre frivolité irresponsable nous touchons à la sacro-sainte institution aliénant l’homme à son destin d’animal évolué, la Voiture. On sent bien à ce moment-là, l’irrévérence de notre comportement : On a pas le droit. Je comprends bien que compte tenu du prix d’achat et du coût d’utilisation, il convient de respecter le matériel. Je le comprends d’autant mieux que je sais les services que rendent ces moyens de locomotion qui nous permettent de vivre confortablement à l’écart de l’étouffement de la ville. Un genou à terre, une main posée sur la carrosserie comme elle le serait sur le flanc d’un animal blessé dont il faut tenter d’apaiser le choc psychologique de l’accident, le propriétaire du véhicule scrute. À la mine plus ou moins défaite du visiteur, on ne pourra rien savoir des dégâts techniques, mais je perçois la profondeur de sa blessure. Eh oui ! On a quitté les voies carrossables. Et ce moderne carrosse qu’est la bagnole ne souffre pas qu’on l’écorche, fût-ce dans son image. Cet outil de déplacement serait-il à l’image de la voiture à porteur un objet de valorisation sociale ? Non, je m’égare. Ne pourrait-il prendre les chemins de traverse et être condamné aux voies plus conformes ou conformistes ouvertes à la circulation par d’autres et pour le bonheur de tous ? Non, je divague. Ce n’est pas une autoroute et il faut prendre le temps d’arriver. Le bonheur c’est le chemin. Stop !

 

« Il faudrait le goudronner » … Bien sûr, je n’y avais pas pensé ! Niveler, re-surfacer, bitumer . Un, c’est moche, deux, c’est pas gratuit. Oui mais ta voiture serait propre. C’est vrai. J’ai honte, tous les jours un peu plus, de rouler dans une voiture aux ailes un peu boueuses, alors que les possesseurs de 4X4 arborent fièrement les preuves de leurs témérité.

Non, je m’adapterai au terrain, et j’encaisserai les quolibets.

 

J’ai accueilli les propositions les plus loufoques, de la chape de béton sur six cents mètres de longueur pour pouvoir faire du roller en allant chercher mon courrier, à celle de piler des poteaux électriques à la masse pour combler les inégalités, avec beaucoup d’intérêt, m’attachant davantage à l’empathie de mon interlocuteur qui, se mettant à ma place, cherchait à me rendre service, à alléger ma peine.

«ça ne peut pas rester dans cet état, je vais vous le faire refaire, je connais quelqu’un à l’équipement. »… m’a même proposé un restaurateur sûr de ses connaissances bien placées, même après lui avoir fait remarqué qu’il s’agissait d’un chemin privé. Touché par autant de sollicitude, je n’en attendais rien et je n’ai pas été déçu.

 

Mais ce chemin est aussi une protection de notre cocon, un rempart que ne franchissent les plus valeureux, les plus méritants. Un rien initiatique, il nous préserve des importuns et d’autre part valorise le havre de paix que semble être notre maison au regard du péril qu’en représente le seuil. Ainsi aucun de nos amis ne roule en Ferrari ou en Bmw surbaissée au spoiler agressif et aux jantes au tarif exprimé en smics mensuels.

Nous ne l’avons pas créé ce chemin, il était là, en l’état. On l’entretient tant bien que mal, plutôt mal que bien au vu de certains…Il est notre lien avec l’extérieur, fait partie de l’identité de notre maison.

 

Je vous laisse, il faut que j’aille élaguer les branches de la haie qui le longe, elles rayent les carrosseries.

Les commentaires sont fermés.