Les gallines, assez!

Nos voisins, des citadins aux origines rurales solidement ancrées, adoptèrent un jour un couple de poules, sans se douter que cela égaierait considérablement nos soirées ultérieures. Partisans de choix proches des sources et des racines de notre culture, ils se virent offrir fort complaisamment un couple de ce qu’on appelle par chez nous kéké, petites poules sinon affectueuses pour le moins redonnant à la maison un air de ce qu’elle était précédemment, une ferme. Le poulailler devait être leur refuge et restait porte ouverte afin de les laisser aller et venir jusqu’au soir, période à laquelle les heureux propriétaires les incitaient à rentrer pour passer la nuit. La journée, elles vaquaient à leurs occupations de gallinacés, picorant de ci de là autour de la maison apportant une touche indéniable de ruralité à l’ambiance générale de leur habitat qui n’en manquait pourtant déjà pas. Compagnes plaisantes, leur donner le grain et les aider à retrouver leur doux abri le soir étaient dans un premier temps les seuls efforts payés en retour de quelques oeufs, environ un par jour et par gallinacé, qui bien que relativement petits ne manquaient pas de saveur. De surcroît, le plaisir d’aller chercher son oeuf et d’en faire un petite omelette agrémentée de champignons débusqués dans un petit bois tout proche, suffisait amplement à justifier si besoin en était, les quelques déjections dont elles gratifient les divers sièges et bancs du tour de la maison. Quand on apprend par la suite que ce genre de poule s’avère un redoutable ennemi pour les reptiles, leur statut de compagnes d’agrément s’estompe rapidement pour laisser place à celui de l’indispensable compagne, précédent de peu celui de  l’évidence voire l’impérieuse nécessité.  Conjuguer à ce point tant de qualités dans aussi peu de plumes faillit même nous faire opter pour leur chaleureuses présence, si à cette époque nous n’avions pas encore vécu en appartement  et en région parisienne de surcroît.

Cependant, petit à petit, quelques inconvénients apparurent: oh, des petits riens, mais vite multipliés par la présence d’un coq. Bien que celui ci fut fort discret dans un premier temps, il remplit si bien son rôle de coq que des petits naquirent. C’était tellement mignon de les voir déambuler à la queue leu, poussant leur charmant piou-piou dans tous les coins du jardin et piller gentiment la gamelle du chien! Bon, il fallait bien de temps à autre tempérer quelque peu les ardeurs du jeune chien qui trouvait en eux des compagnons de jeux relativement plus dociles que les poules adultes qui commençaient à être plus nombreuses et parfois ombrageuses au point d’apprendre à voler. Ne me demandez pas comment, mais si dans un premier temps je fus étonné, de du me rendre à l’évidence: plus qu’un bond prolongé par une agitation désordonnée des ailes, celles-ci arrivaient d’un seul coup au sol de leurs deux pattes à décoller suffisamment prestement pour permettre à leur battement de prendre un rythme soutenu qui leur offrait l’opportunité de se percher à trois quatre mètres de hauteur dans les arbres voisins. Les déloger devenait alors difficile, notamment quand il fallait les persuader de rentrer dans le poulailler qui ne les attirait plus guère. Pourtant la présence d’un renard dans les parages qui avait repéré ce nouvel attroupement rendait nécessaire ce repli stratégique, au moins pour la nuit. Le problème venait alors d’une des poules plus arrogante que les autres, plus rebelle, qui une fois réfugiée dans l’arbre haranguait ses congénères et les incitait à venir l’y rejoindre. De dépit, nous les laissions y passer la nuit déplorant au petit matin de ne pas avoir pensé à recouvrir la moto qui stationnait sous cet arbre servant de perchoir à cinq ou six volatiles. Si par hasard des pièces mécaniques étaient démontées ou bien que vous vouliez faire un tour il convenait préalablement de prendre un éponge et de nettoyer avant que de penser pouvoir bricoler ou goûter des trépidations de la machine.

Assez rapidement, la troupe de poules se révéla un tantinet importante, compliquant sans en avoir l’air la vie quotidienne. Par exemple le maître de maison se levant tôt le matin aimait à soulager un besoin naturel en contemplant le panorama environnant. S’il pouvait toujours le faire, il convenait toutefois de ne pas oublier de fermer la porte de la maison au risque de voir quasi quotidiennement la cinquantaine de poule investir le doux foyer et y prendre ses aises de la table du petit déjeuner au lit de la chambre conjugale. Sans être phobique ni avoir gardé de traumatisants souvenirs “des oiseaux” d’Alfred Hitchcock, la vision matinale des leurs petites pattes griffues prêtes à fondre sur les tartines du petit déjeuner n’est pas forcément la meilleure des choses pour bien commencer la journée. Les inciter à ressortir dans le calme, sans réveiller le reste de la maisonnée n’est pas non plus chose aisée.

Par ailleurs douées d’une volonté tenace, ces bêtes de compagnie se révélèrent très observatrices: par exemple, de tous les bulbes plantés par les propriétaires, cent cinquante environ si j’en crois mes sources, trois seulement échappèrent à leur sagacité et devinrent fleurs. Les autres, bien que souvent replantés furent consciencieusement et aussi souvent déterrées. La ruralité frisant alors la rusticité, nous frisons là un débat que nous n’ouvrirons pas mais qui faisait déjà apparaître certaines tentions.

Heureusement, généreuses de nature et peut être pour compenser, elles n’hésitaient pas à gratifier nos amis de petits oeufs délicieux j’en conviens. Un oeuf par jour et par poule voilà de quoi se réconcilier. Mais il arrive que parfois opulence nuise… Ainsi deux semaines de vacances bien méritées au bord de la mer se retrouvèrent cruellement gâchées au retour par cette corne d’abondance dont mère nature les dotait. A cette époque, la quarantaine de poules qui gardait la maison pendant leur absence, n’en arrêta pas pour autant sa production. Comptez par vous-même, quarante poules pondant un oeuf par jour pendant quinze jours et vous aurez une idée précise de ce qu’il n’avaient pas imaginé avant de partir, d’autant plus que je vous  le rappelle, ces charmantes avaient investi naturellement tout le tour de la maison dans les moindres recoins.

De loin la vue plaisante d’un oeuf posé délicatement sur l’herbe, sous le tracteur tranquille et bucolique avait quelque chose de rassurant, image d’Épinal rappelant un certain ordre des choses sain et apaisant. L’ouverture du capot dudit tracteur le fut beaucoup moins. Une trentaine d’œufs répartis dans le moteur à dégager sans provoquer de dégâts n’est pas forcément donnée au premier venu. Mais la vie reprenant son cours un peu de mécanique étant nécessaire pour que de nouveau s’ébroue le doux poum-poum du moteur diesel de l’antique Renault, il fallut aller chercher quelques outils dans l’atelier. Ici une précision est nécessaire: par atelier il faut plutôt entendre un abri, un appentis ouvert à tout vents et donc à toutes poules, où règne généralement un gentil capharnaüm qui n’a d’égal que l’intensité de la réflexion qui préside aux destinées de l’endroit. Bien des trouvailles étant née de ce lieu,  il faudra lui pardonner son apparente confusion. C’est donc sans aucun respect du à une ignorance iconoclaste que nos amies à plumes y ont séjourné pendant leur absence. En ouvrant la porte, car porte il y eut même si elle n’empêcha jamais quiconque d’y entrer n’y d’en sortir, la vision des étagères constellées d’œufs fit marquer un temps d’arrêt au vaillant ré-activateur de tracteur qui après avoir hélé sa douce et tendre épouse pour lui indiquer la nouvelle incongruité de leurs compagnes, décida de rester ferme sur sa décision et de mécaniquer malgré tout. Il se saisit de la boite à outils, boite à outils métallique traditionnelle, à tiroirs se rabattant les uns sur les autres, et du geste preste du professionnel accompli, la referma pour emporter vers le tracteur les instruments nécessaires. Le bruit inhabituel le surprit. En ouvrant il se rendit compte qu’une des poules avait élu la boite à outils comme meilleur endroit pour y déposer quelques oeufs. Combien? Difficile à dire au premier coup d’œil tant le mélange clés de douze-jaune d’œufs – tournevis – coquille – pinces – blanc d’œufs  était délicat à différencier. Il dut se résoudre à reporter ses velléités mécaniques pour se consacrer au nettoyage méthodique du contenant et du contenu, nettoyage émaillé vous vous en doutez de quelques propos injurieux sur es races à plumes, entrecoupés du rappel de quelques recettes de cuisines destinées à rendre comestibles ces compagnes soudains passées de charmantes à encombrantes.

Lorsque plus tard, il finit par atteindre son objectif et rendre opérationnel les outils et par conséquence le docile tracteur, notre ami voulut nettoyer le tour de la maison en passant le gyrobroyeur qui y était attelé. Cet ustensile, sorte de grosse tondeuse entraînée par une prise de force située à l’arrière du tracteur, utilise sa vitesse de rotation pour en principe broyer l’herbe et  la disperser pour en former un engrais tout ce qu’il y a de plus naturel. Cette fois ci, ce fut une belle omelette répartie sur environ trois mètres carrés  qui agrémenta d’une belle couleur jaune le devant de la grange.

 

Les inconvenances des ses poules ne s’arrêtaient pas là. Pondant sur les rebords des fenêtres du premier étage, il convenait à l’ouverture des volets d’être aussi prudent que par exemple lorsque vous enfiliez les sabots restés devant la porte.

Le cas le plus abouti fut indéniablement et à l’unanimité celui-ci: Un jour un peu plus venteux que les autres, leurs sens furent mis en éveil par un bruit particulier. Rompu depuis longtemps à reconnaître en toute circonstance le son caractéristique de l’œuf qui se brise, ils durent néanmoins faire un effort pour déterminer la source de la régularité de ce bruit. A intervalle assez rythmé, un impact d’œuf avait lieu au pied de la maison. Celle-ci, d’une architecture traditionnelle avait un toit à deux pentes en façade, et était agrémentée de deux superbes palmiers de part et d’autre. L’un d’eux agité souplement par le vent laissait échapper un oeuf qui venait de tout l’élan de ses trois mètres de haut, s’écraser sur le sol. C’est en montant sur le toit que l’on s’aperçut qu’une ou plusieurs poules pondaient dans le même canal des tuiles, mettant ainsi en réserve un bon mètre cinquante de projectiles destinés à attendre patiemment leur heure, que le vent vienne agiter l‘arbre et que celui libère vers le sol cette merveille de la nature dont s‘inspirent les designers pour faciliter le coefficient de pénétration dans l‘air de nos véhicules à moteur.

C’est ainsi que profusion ne fait pas forcément abondance puisqu’il devenait difficile de manger les oeufs frais tant il était difficile de différencier  des moins frais, habilement destinés pour la reproduction, la prolifération et l’envahissement de cette maison. Mais tel David Vincent, les habitants décidèrent de ne pas se laisser faire et de lutter contre les envahisseurs exponentiels. Malgré une certaine aversion pour les oeufs qui naissait certainement d’un réflexe de survie, la contre-attaque eut lieu.

Le lancer du sabot ne dura qu’un temps. Il ne ralentissait que provisoirement la course de la cible, rendant particulièrement pitoyable la claudication de certains individus: non pas ceux privés dudit sabot, mais ceux touchés par l’objet et qui rarement succombaient sur le coup. Ce procédé s’étant avéré aussi aléatoire qu’artisanal, il leur fallut passer à d’autres méthodes. Cependant il fut employé de temps à autres, dans certaines circonstances particulières généralement favorisées par l’accumulation de tentions diverses.

Et là nous passâmes à un stade supérieur: écouter notre ami s’évertuer à inventer des pièges était un vrai bonheur tant cela semblait surréaliste. C’est ainsi qu’un siège en rotin mis en équilibre sur un bâton rattaché à une ficelle se révéla assez efficace pour peu qu’on ait mis dessous un poignée de grains. Du moins un certain temps. En tirant sur la ficelle, caché au coin de la maison ou dans l’embrasure d’une porte, le savant équilibre pouvait capturer jusqu’à trois poules d’un coup! Pas folles, elle ne s’approchèrent plus de cet étrange équilibre qui à chaque fois s’écroulait sur leurs congénères. C’est là que toutes sortes d’objets furent utilisés, afin de tromper l’ennemi. A l’avis encore une fois unanime de notre entourage, le summum fut atteint avec l’emploi de la brouette. Imaginer cet outil destiné en principe au transport de matériaux, surplombant une poigné de grains, retourné les pattes en l’air  en appui sur un bâton relié par une  longue ficelle à un autochtone au regard décidé, prêt à s’abattre impitoyablement sur le premier volatile qui s’en approche avait vraiment quelque chose de surréaliste. D’autant plus que le bruit que devait faire le tout entre la résonance de la brouette et les piaillements affolés des prisonnières ne devait pas passer inaperçu.

 

Pendant un temps, le chien et un renard du voisinage furent les plus zélés des alliés dans cette lutte incessante du monde libre contre l’envahisseur. Le chien n’ayant qu’une idée assez approximative des règles de l’art qui consistent à plumer les gallinacés après les avoir tuées et vidées, ne fit que rarement dans la dentelle et déchiqueta plus qu’autre chose les moins véloces d’entre elles, et cela par série. Bien que quotidiennement et copieusement nourri, ce sympathique bâtard qui vient encore régulièrement nous rendre visite, devait singulièrement s‘amuser à happer un jour trois d‘entre elles, puis rien pendant quatre jours, puis deux, rien pendant une bonne semaine puis cinq dans la même matinée. Aidé d’un furtif renard qui régulièrement ponctionnait le cheptel, ceci aurait pu ressembler à la résurgence d’un quelconque écosystème, au retour vers un équilibre que dame nature n‘aurait pas renié. Mais le renard disparut un jour, peut être seul exemplaire de ses congénères à être mort d’indigestion tant il avait raflé de poules. Le chien faute de combattants se fit une raison et la seule poule qui résista trouva refuge par hasard dans le poulailler que l’on referma. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. La maisonnée retrouvait un semblant de calme, loin des conflits du monde extérieur et tout n’était que calme et volupté.

Mais si l’on dit que la vengeance est un plat qui se mange froid, on accorde généralement et sans réfléchir ce type de sentiment qu’aux êtres doués de vie. Et pourtant… C’est dans un grand fracas qu’un jour le poulailler s’effondra, traversé par le tracteur dont les freins lâchèrent on ne sait toujours pas pourquoi. L’unique poule du poulailler, désormais cloîtrée dans l’enceinte fit du bruit comme vingt, et s’éteignit quelques minutes plus tard, sans dégâts apparents, physiquement intacte, ayant visiblement cédé à une trop forte émotion. Alors que tout le monde déjeunait tranquillement dans la maison, le placide tracteur avait choisi de venger son honneur bafoué en lançant sa masse pourtant inerte depuis plusieurs semaines sur l’enclos qui servait d’abri au dernier des représentants de cette tribu d’irréductibles qui à défaut d’avoir été de parfaites et irréprochables compagnes, furent le sujet de prédilection de nombreuses soirées remplis de rires et de larmes aux yeux et qui commençaient toutes par cette phrase: “Allez Serge, raconte nous tes poules!”

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