Enquête à la maternelle

Ce jour là à l’école du Coquelicot, les couloirs résonnaient de pleurs, vibraient de cris déchirants et ruisselaient de larmes. Très vite le stock de boites de mouchoirs en papier fut épuisé. Les maîtresses et les dames de la cantine courraient dans tous les sens. Un gros malheur venait certainement d’arriver pour créer une telle émotion…

En effet, au réveil de la sieste des plus petits il était arrivé quelque chose de terrible:

Les doudous avaient tous disparus ! Oui vous avez bien lu, les doudous avaient disparus! Non pas un doudou ni quelques doudous. Tous les doudous!

Afin de calmer tout le monde Madame Millet, la directrice, a bien essayé d’expliquer que les doudous étaient allés se promener pendant la sieste. Ils n’étaient pas encore rentrés car il faisait beau et ils en profitaient. Mais ils n’allaient pas tarder. Après quelques instant instants d’hésitations, malgré l’assurance et le métier de Madame Millet, aucun enfant ne croyait à cette version. Des tas de regards noirs surmontés de petits sourcils froncés la fixèrent quelques instants. Puis de nouveau un torrent de pleurs inonda les salles de classe et commençait à dégouliner dans les escaliers, pour former d’immenses flaques dans la cour de l’école. Désespérées, les maîtresses firent appel à Marie-Christine, une des dames de services que les enfants aimaient beaucoup. Elle essaya sans plus de succès de faire croire aux enfants que pendant la sieste, elle avait ramassé les doudous des enfants qui dormaient, afin de les laver. Elle disait que comme ils dormaient, elle pensait qu’ils n’en avaient pas besoin, et qu’ils ne devaient pas s’inquiéter, ils étaient en train de sécher.

Mais ceci n’était pas possible. Tous les enfants savent bien depuis toujours que l’on ne lave jamais les doudous! D’ailleurs les enfants savent plein de choses, et cela commençait à les énerver qu’on les prenne pour des imbéciles. C’est comme les Monstres des bisous: c’est encore un truc des papas et des mamans pour leur dérober des bisous supplémentaires.

Au lieu de leur raconter des bêtises, les maîtresses la directrice et les dames de service feraient mieux de  mener un enquête. Tous ces grands qui toute la journée s’occupent de les faire manger proprement, parler correctement, écrire lisiblement, s’amuser gentiment, se reposer de temps en temps, décorer joliment, se ranger rapidement, et repartir sagement n’étaient pas capables de surveiller les doudous pendant la sieste ? Incroyable ! C’était réellement incroyable.

Pour s’occuper de détails, les adultes étaient toujours les plus forts, mais apparemment, dès qu’il s’agissait de choses sérieuses, on ne pouvait plus compter sur eux.

C’est pourquoi Valentin se pencha vers son ami Rodrigue et lui glissa au creux de l’oreille:

 » Je crois qu’il faut qu’on s’en occupe nous même ».

Valentin et son ami faisaient partie de la grande section de maternelle, de ceux qui ne font plus la sieste. Les temps de repos qu’ils prenaient, ils le passaient à lire calmement, et ne dormaient que vraiment s’ils en avaient besoin ou envie. S’ils avaient pu deviner le drame qui allait se produire, ils ne se seraient pas laissés sombrer dans la douce torpeur du petit somme de l’après-midi. Mais le repas de la cantine avait été fort bon, et les premiers rayons de soleil du printemps les avaient fait tous courir tant et plus dans la cour que bien fatigués, ils n’avaient pas résisté.

Discrètement, se tirant l’un l’autre par la manche, ils reculèrent, reculèrent, reculèrent, jusqu’à se trouver près de la porte de la classe. Dans le va-et-vient incessant et l’agitation environnante, la porte était restée ouverte. Ils n’eurent aucun mal à se glisser dans le couloir sans attirer l’attention de la maîtresse. De toute façon celle-ci était bien trop occupée à consoler ces grappes d’enfants inconsolables.

Une fois dans le couloir, ils descendirent dans la cour et longèrent les murs; sur les bancs, sous les porte-manteaux, là où d’habitude ils posent leurs doudous quand ils jouent en récréation, aucune trace. Les grands bacs en plastique colorés qui recevaient les doudous lors de l’arrivée dans les classes étaient vides eux aussi. Aux toilettes rien non plus. Un peu impressionnés de déambuler seuls dans l’école mais décidés à éclaircir ce mystère, Rodrigue et Valentin cherchèrent dans tous les recoins. Il glissèrent même un regard dans le bureau de Madame Millet. Pas longtemps car un courant d’air, résultat de trop de portes ouvertes en même temps, en fit claquer une. PAN !
Nos détectives d’un jour détalèrent vite fait vers des lieux plus calmes.

La salle de gymnastique, avec ses appareils, ses tapis, ses coffres remplis de matériel pour jouer et s’amuser était l’endroit rêvé pour cacher un butin.

Les deux compères soulevant les couvercles, s’agenouillant sous les sièges, soulevant les tapis se posaient des questions

« Tu crois qu’il est costaud toi, le voleur ?

- J’en sais rien, moi. Pourquoi?

- Ben parce qu’on est tout seul… s’il est grand et costaud,…

- Et bien on courra très vite en criant très fort qu’on à retrouvé les doudous.

- T’as raison, ils viendront tous nous aider

- Et en plus, on sera des héros ! »

- Oui, des héros! Super! C’est mes parents qui vont être fier de moi.

- Mais on a pas intérêt à se faire surprendre à se promener partout en dehors de la classe; sinon nos parents vont être moins fier de nous.

- On est obligé de réussir!

- Obligé… »

Ils redoublèrent d’effort, rien qu’à l’idée de passer pour des héros. Mais après de longues minutes de recherche, ils durent se rendre à l’évidence: il n’y avait pas de doudou dans cette salle.

Ils ressortirent de là un peu désorientés.

 » Valentin, tu as une idée de l’endroit ou on pourrait chercher?

- A part le réfectoire, je ne vois pas ce que l’on a oublié.

- Alors allons-y! »

Ils retraversèrent la cour, toujours prudemment afin de ne pas se faire repérer et arrivèrent au réfectoire. La porte principale étant fermée (ce n’était plus l’heure du repas), ils firent le tour.

Cela leur faisait très drôle de rentrer dans le réfectoire à cette heure là, mais également de le voir si grand. En effet d’habitude, les tables sont pleines d’assiettes et de couverts, et il y a plein de monde. C’est l’endroit le plus bruyant de l’école, et là Valentin entendit distinctement son ami Rodrigue chuchoter:  » C’est bizarre ça sent pas pareil!

- Pareil que quoi ?

- Que d’habitude ! Là, ça sent le produit que maman passe sur le sol de la cuisine quand je renverse un truc qui colle. D’habitude ça sent ce qu’on mange.

- Tu as raison. Viens on va voir les cuisines. »

Leurs pas résonnaient sur le carrelage. Ils marchaient lentement.

 » Mince c’est fermé! »

Les deux grandes portes à battant étaient effectivement fermées.

 » Bouge pas! » Rodrigue repartit vers le réfectoire, et fit glisser à grand bruit une des chaises jusqu’à la porte. Ils grimpèrent dessus et purent ainsi inspecter la cuisine par les carreaux qui étaient découpés dans les battants. Mais ils ne virent rien.

Déçus, ils rapportèrent la chaise à sa place et sortirent du réfectoire la mine triste. A ce moment là, ils virent passer au coin du réfectoire, deux dames de service transportant une grande bassine.

Ils se regardèrent et tout en longeant le mur, arrivèrent à l’angle du bâtiment. Les deux dames discutaient s’arrêtèrent devant une porte et posèrent la bassine. Valentin et son ami purent voir qu’elle était vide. Les dames entrèrent et ils s’assirent au pied du mur. » Qu’est ce qu’il y a dans ce bâtiment?

- Ch’ais pas, dit Rodrigue en haussant les épaules. Je crois qu’ils lavent les serviettes  et aussi d’autres trucs. »

- Tu crois qu’on a regardé partout?

- J’crois que oui, et toi?

- Moi aussi, j’crois que oui. »

Tristes de constater leur échec, ils restèrent là à réfléchir, pour savoir comment expliquer à leurs copains qu’ils n’avaient rien trouvé. Ils se demandaient aussi ce qu’allait leur dire la maîtresse qui s’était sûrement aperçu de leur disparition. Ils risquaient de visiter le bureau de Madame Millet beaucoup plus longtemps que la première fois.

Les dames de service ressortirent du local; la bassine avait l’air beaucoup plus lourde rien qu’à voir leur démarche. Le cou tendu comme pour mieux voir, nos deux policiers en herbe les suivirent du regard. Elles passèrent derrière ce petit bâtiment. Ils se redressèrent et sans rien dire coururent ensemble jusqu’au coin de la construction. Là de nouveau étirant leur cou comme des autruches, il regardèrent ce qu’elles faisaient. La première, accroupie, tendait à l’autre une épingle à linge puis un nounours ruisselant. L’autre l’accrochait au fil. La première tendit ensuite un foulard multicolore en mauvais état, mais lui aussi dégoulinant, que la deuxième accrocha. Ce fut ensuite le tour d’une girafe, puis d’un lapin puis d’une poupée de laine…

Ils restèrent bouche bée. Ils avaient osé ! Marie Christine leur avaient  dit la vérité, mais ils n’avaient pas pu le croire: Ils avaient lavé les doudous !

Ils ne purent pas rester là à contempler une scène aussi horrible. Voir tous ces pauvres doudous propres, sentant certainement la lessive, pouah !! Et leurs propriétaires s’inquiétaient pour eux.

Ils rentrèrent dans leur classe, et il fut difficile d’expliquer la vérité à leurs camarades.

Madame Millet du s’excuser devant toutes les classes une par une, il y eut des frites tous les jours à la cantine pendant une semaine, et les dames de services ne crièrent pas après les enfant pendant au mois trois jours, rien que pour se faire pardonner.

Heureusement que les enfants ne sont pas rancuniers. Les doudous reprirent rapidement les couleurs et les odeurs qui étaient les leurs avant cet épisode cruel. Certains même décidèrent de ne plus amener leur doudou à l’école, disant que c’est parce qu’ils étaient assez grands et qu’ils n’en avaient plus besoin…

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