Bêta Ier

NDLA: texte ecrit au siècle dernier. Toute similitude avec des événements récents serait fortuite et fort disgracieuse de surcroît.

Il y a fort longtemps Bêta Ier et Bêta IInd se disputaient le royaume de Bêtisia. Ce pays de bêtises et de bévues était très convoité: ses habitants étaient si étourdis et si peu attentifs, qu’ils ne s’apercevaient même pas des énormités de leurs dirigeants. Alors vous pensez que ceux-ci s’en donnaient à cœur joie… Et que j’augmente les impôts et que j’augmente les taxes; et que je diminue les aides aux personnes démunies, et que je te reçois fastueusement mes amis qui sans ça, ne le seraient pas.

Donc ce jour là, Bêta Ier et Bêta IInd se disputaient le royaume de Bêtisia.

« Moi j’ai fait les plus énormes bêtises, déclare Bêta I.

- Moi aussi rétorque Bêta II ».

- Oui mais moi, je les ai faites d’abord.

- Eh bien moi, je t’ai bien observé et j’ai amélioré tes bêtises. Je les ai faites plus grandes, plus belles et plus nombreuses.

- Copier, ce n’est pas une bêtise. C’est qu’on est pas assez malin pour en inventer ».

- Avoir l’idée n’est pas tout, il faut savoir la réaliser!  Toi tu chipotes, tu grignotes à peine sur le dos des autres. Moi, j’y mords à pleines dents. Je m’enfonce avec volupté dans la bêtise.

- Oui mais, la bêtise des autres est facile à utiliser. J’en sais quelque chose… et toi aussi! Mais créer ses propres bêtises, là est la difficulté, là est l’art, là est la grandeur. »

Un mot en appelant un autre, le ton monta. C’était à celui qui avait fait la plus énorme, la plus colossale bêtise de tous les temps. Il firent feu de tout bois essayant de se prouver l’un à l’autre, qu’il était le meilleur. Dans le domaine du pire, bien évidemment.

Ils firent assaut de tant de prétentions et d’orgueil qu’en ce domaine en effet, il aurait été difficile de les départager.

La cour de ses deux princes prétendant au royaume de Bêtisia s’émut des éclats de voix qui parvenaient de la pièce où discutaient Bêta Ieret Bêta IInd. Le grand Chambellan du royaume, sorte de majordome général, d’organisateur zélé, de premier ministre, fut appelé en désespoir de cause afin de séparer les deux interlocuteurs. Mais lui même ne sut ni ne put départager les deux concurrents. Par contre , lui vint une idée qu’il proposa aux deux princes:

« Puisque visiblement, Messires vous ne savez vous accorder, organisons un concours pour voir de vous deux quel sera le plus digne de présider aux destinées de notre province bien aimée.

- Un concours? mais comment celui se déroulerait-il?

- Imaginons que chacun de vous prenne trois décisions: imaginons que chacune soient soumise à un jury. Jugeons enfin qui aura fait la plus grosse bêtise, et attribuons lui le trône de Bêtisia.

- Voilà qui est bête! Très bête même! J’aurais du y penser moi même. Tu serais un candidat redoutable Chambellan. Peut-être devrions-nous nous méfier de toi » déclara Bêta Ier .

- Vôtre Seigneurie est trop bonne, vous me faites trop d’honneur. Toute modestie mise à part, je n’arrive pas à la cheville de votre Altesse.

- Si Si, tu es trop modeste, en effet. Si tu voulais bien t’en donner la peine, je suis sur que tu pourrais faire un score honorable. Mais revenons au sujet: trois décisions, ne crois tu pas qu’autant de réformes importantes en peu de temps puisse déstabiliser nos sujets ou mettre à mal le royaume? Et qui serais le juge de ce tournoi? « 

« Le pays, Messires. Son peuple a supporté depuis des siècles les bêtises de vos illustres prédécesseurs, ainsi que vos brillantes prestations et ceci sans broncher. A ce titre nul ne serait meilleur juge que le peuple de Bêtisia, rompu qu’il est à ces périlleux exercices depuis de nombreuses génération. C’est un cavalier émérite sur le dos d’un cheval fougueux. »

Comme un seul homme, les deux prétendants s’écrièrent: « Le peuple? Mais quelle drôle d’idée! »

Très calme le grand chambellan répondit: « Qui mieux que le peuple qui devra vivre les décisions que vous prendrez serait à même de juger de leur ineptie? Qui a plus d’expérience en ce domaine que le peuple? Les dirigeants, trop occupés à leur tâche ne se souviennent pas toujours de l’immensité de leur talent: pour preuve, ils refont parfois les mêmes Bêtises que leurs prédécesseurs. Le peuple, lui, par la faculté de transmettre l’histoire à ses enfants est devenu un docteur es bêtise. Il suffirait qu’ils élisent le plus bête d’entre vous, le plus digne de leur confiance en quelque sorte. »

« Ta bêtise m’étonne Chambellan dit Bêta IInd. Je crois en effet qu’il vaut mieux que tu ne participes pas à ce concours, tu serais un dangereux candidat .

- Vous me flattez…

- Moi-même, et Dieu sait si je m’y connais en Bêtises, n’aurais pu imaginer une telle incongruité: demander au peuple!

- J’avoue personnellement être également surpris, continua Bêta Ier. Mais le moyen ne nous départager me semble sinon judicieux, pour le moins efficace, tant l’aberration de ce choix me semble évident. »

Le Grand chambellan fut tout naturellement chargé de l’organisation générale.

Les deux candidats émirent trois projets de réformes, à leur propre choix. Le peuple, informés par tous les moyens possibles, se rendit en des lieux spécialement aménagés afin de dire en son âme et conscience lequel des deux princes était digne de diriger leur pays.

Ils élirent ainsi le plus bête, et l’autre ne put que reconnaître sa défaite.

Au bout de quelques années, il se trouva bien évidemment quelqu’un pour dire à l’heureux élu, je suis plus bête que toi, et l’on dut recommencer.

C’est ainsi que l’on prit l’habitude dans ce royaume éloigné, de choisir régulièrement ses dirigeants. Comme on le dit, à toute chose malheur est bon.

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