barbecue, apéro?

La vie à la campagne est parfois émaillée de plaisirs variés qui chaque jour nous donnent l’occasion de voir les choses différemment. Il semble que le contexte lié au contact avec la nature nous amène à nous pencher humblement sur nos habitudes. Si cela comporte certaines contraintes, entre autre un certain éloignement, entraînant la nécessité de déplacements répétitifs, cette rurale situation procure en revanche certains avantages. Parmi ceux-ci, l’espace dont on dispose nous offre la possibilité de recevoir nombre d’amis, surtout dès que le temps se fait clément.

Ainsi, un barbecue qui peut poser problème en ville, notamment à cause de la promiscuité du voisinage et des fumées difficiles à dompter, ne pose aucun problème dès que l’on dispose, luxe incommensurable, d’un tant soit peu d’espace. Il nous est même arrivé, magnificence suprême, de pouvoir nous affranchir d’un temps pluvieux en nous réfugiant sous la grange lors d’intempestives averses.

 

Mais il faut savoir (et notre expérience en la matière nous permet aujourd’hui de l’affirmer) que l’activité la plus apte à accompagner l’élaboration d’un barbecue reste sans aucun doute l’apéritif.

Nous pouvons dire sans peur de nous tromper, qu’il peut être même délicat d’envisager un barbecue sans apéritif. J’affirmerais qui plus est, qu’il est impossible de penser pouvoir organiser un barbecue, sans cette cérémonie rituelle essentielle.

Non que la substance soit techniquement indispensable à la bonne réalisation des grillades, mais il aide à gérer la période aléatoire d’attente. L’apéritif est techniquement l’outil indispensable.

Comme chacun le sait, le principal problème du barbecue est sans aucun doute, la constitution d’un lit de braise homogène et cohérent, destiné aux mets qui s’étaleront sur la grille. Ensuite, la surveillance des susdits mets ne supportera que fort peu l’inattention des protagonistes. Un deuxième vin cuit pour ces dames ou un anis bien allongé pour ces messieurs donneront au maître des forges le temps nécessaire de retourner saucisses, merguez ou autres travers de porc. La survie de la braise par maintes ventilations, entrecoupées d’éventuels rajouts de charbon de bois sera nécessaire.

Pendant ce temps, la deuxième mission et non la moindre, consiste à assurer la présence de ce qu’on nomme amicalement saletés ou cochonneries et qui accompagnent les boissons. Des chips aux cacahuètes, des légumes croquants aux olives épicées, tout est bon pour notre pâture, à condition que la volée de moineaux des enfants et autres ados ne passe par-là. Et là, en un éclair, profitant d’un moment d’inattention des adultes pourtant proches de la scène du crime, ils mettent à sac le contenu des divers petits bols et assiettes. La nonchalance des convives réunis pour l’occasion, favorise bien évidemment l’opération : détendu, entièrement dédié à la communication avec son prochain, à aucun moment l’adulte en situation ne se doute de ce qui se trame. Absorbé par l’intérêt élevé de la discussion en cours, du nombre de glaçons nécessaires pour une mauresque de qualité au déficit du commerce extérieur du Guatemala, pas un instant il ne se pense proie. Un prédateur guette. Le jeune. Le jeune dont il est surprenant de noter que la capacité d’emport de ses petites mains, n’est pas forcément proportionnelle à la taille. Quel que soit le réceptacle visé, il subit les derniers outrages en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Vidé avant même que le dernier verre d’apéritif soit servi.

Puisque le mari attisant la braise est potentiellement réduit à l’esclavage,  la maîtresse de maison se voit obligée de réapprovisionner en plein vol.

Ce qui nous conduit naturellement à la remarque suivante : en général il reste une tranche de saucisson, celle que personne n’ose prendre sous peine de passer pour un goujat. Ou une pistache. Celle que personne n’arrive à ouvrir et craint qu’un des enfants aie déjà tenté de le faire de ses blanches quenottes, avant de l’avoir recrachée gluante de salive dans le bol. Notez que quand il reste une tranche de saucisse sèche, cela ne veut dire en aucun cas que vos invités soient repus. Pour vous en assurer, faites une expérience : découpez quelques tranches supplémentaires puis jetez les en compagnie de la pauvre esseulée. Attendez et vous constaterez très rapidement, qu’il ne reste à nouveau qu’une seule tranche. Au bout de quelques minutes, recommencez l’opération. Parvenu à cette étape, je vous laisse l’appréciation du nombre de fois qu’il vous faudra réitérer l’opération, n’ayant pas réussi personnellement à déterminer un nombre limite de répétitions. À ma connaissance, l’arrêt du processus n’est envisageable que dans deux cas : soit l’épuisement des réserves de saucisson ou de cacahuètes, soit le cri désespéré du responsable du barbecue, émettant un doute sur le prolongement de la période de cuisson, ne vous laissant plus le choix qu’entre trop cuit et brûlé.

De toute façon, force est de constater que chacun s’accommodera sans problème de l’état de ce qui lui tombera dans l’assiette. La fourberie atteindra son paroxysme lorsque la majorité déclarera préférer bien cuit, voire que c’est meilleur pour la santé (mis à part la bande d’ados recherchée pour vol aggravé et qui ne vous épargnera rien, rien, promis). À cela, trois raisons principales . Tout d’abord il y a fort à parier que la prolongation de la consommation d’apéritifs alcoolisés aura grandement érodé les capacités gustatives des participants. Ensuite, cacahuètes et saucissons auront amplement rempli le bol alimentaire, atténuant ainsi leur envie de dévorer. Enfin, plus pernicieusement, personne n’osera reprocher quoique ce soit au responsable de la cuisson, bien content d’avoir échappé à la corvée. Le convive un peu imbibé se mut instantanément en vil flagorneur : au prix d’un renoncement quasi immédiat sur l’autel de l’hypocrisie, il sacrifiera sans hésiter ses propres goûts pour la viande bleue, à point ou saignante pour un siège confortable et une assiette garnie.

Mais soyez rassurés. Tout cela contribuera sans aucun doute à vous assurer une soirée parfaitement réussie.

Les commentaires sont fermés.